Mes Crits - Tumblr Posts
Le perchoir
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Les arbres/première fois
« Tu as déjà grimpé à un arbre ?
Il me regarde avec ses grands yeux perplexes, comme si je lui demandais s’il a déjà pris la voiture pour faire un tour sur l’autoroute – ce qui, du haut de ses cinq ans, est évidemment impensable. Mais pas grimper aux arbres, selon moi. C’est bien un truc de gamin, non ? Tu laisses un gosse dans un jardin avec un arbre et tu le retrouves en train de faire cochon pendu à la plus haute branche. Enfin il me semble.
Il faut croire que mes pauvres tentatives de communication avec les enfants tombent déjà à plat, puisqu’il me répond juste :
— Bah non.
Déçu mais têtu, je persévère :
— Pourquoi, bah non ? Tu as un des arbres dans ton jardin, non ? Pourquoi tu n’es jamais grimpé dessus ?
— Parce qu’on peut pas grimper aux arbres pour de vrai, c’est un truc de dessins animés.
— Je… hein ? Quoi ? Bien sûr qu’on peut grimper aux arbres ! C’est marrant à faire, même si on ne va pas très haut ! Attends, regarde, je vais te montrer.
Du coup, je pars vers l’arbre le plus proche pour faire une démonstration. Ҫa devrait être facile. Je suis un adulte, je peux attraper des branches plus hautes que les enfants. Bon, je suis en jean et baskets, ce n’est pas parfait, mais ça pourrait être pire. Et puis j’ai fait de l’escalade pendant trois ans à la fac, il doit bien m’en rester quelque chose.
— Alors tu vois, le truc c’est d’attraper une branche comme ça, et après tu te hisses…
Décrire l’action ne m’aide pas du tout à la réussir, en fait. C’est même plutôt l’inverse. Comme une malédiction.
Du coup, après, je ne dis plus rien. Je m’applique. C’est bien plus dur que je pensais, mais en mettant le pied comme ceci… Et en appuyant plus par là… J’y arrive à peu près…
Et finalement ça y est, je grimpe. Je suis en train de grimper à un arbre. C’est la première fois de ma vie que je fais ça, en fait. C’est terrifiant, mais aussi un peu grisant. Je finis par arriver vraiment haut.
C’est là que je commets l’erreur. Je regarde en bas.
Je suis putain de haut.
Je vais glisser, tomber et mourir.
Le gamin, tout en bas, me regarde d’un air sérieux. Il me voit paniquer et m’accrocher à ma branche. Il conclut :
— En fait, je crois que ce n’était pas une bonne idée. »
La vieille peau
Défi 30 jours pour écrire, sujet : L’oubli/quel est ce reflet ?
Je suis quelque part, dans une chambre qui porte sans doute un numéro, un hôpital ou un hôtel. J’ai des choses à faire et l’envie de bouger, à quoi bon rester enfermée ici ? J’enfile mes chaussons et je trottine jusqu’à la porte. Ah, pas la bonne porte. C’est la salle de bain, ça. Parfait. J’attrape mon peignoir, ma trousse de toilette, et je sors de quoi me maquiller.
Sauf que ça ne va pas. À la place du miroir, il y a une fenêtre sur une vieille peau échevelée qui me regarde, l’air ahuri. Qui c’est, celle-là ? Je lui demande ce qu’elle fiche dans ma chambre. Non mais c’est vrai, on ne va pas se laisser faire ! Mais elle n’entend rien, et moi non plus, alors qu’elle parle. Ҫa m’énerve et l’angoisse monte. Je ne veux surtout pas que l’angoisse monte. Avec l’angoisse viennent les questions, et les questions font mal. J’ai autre chose à faire qu’à me prendre la tête sur ces imbécilités. Je n’aime pas cet endroit, je n’aime pas cette situation, j’en ai marre, je m’en vais, j’ai des choses à faire, beaucoup de choses ! Où est mon sac à main ? Non, ça c’est ma trousse de toilette. Ah, oui, il faut que je me maquille avant de partir. Je rentre dans la salle de bain.
Il y a une vieille peau dans ma salle de bain. Qui me regarde droit dans les yeux.
Hors de question. Je refuse. Je sors.
De toute façon je dois partir. J’ai des choses à faire. Beaucoup de choses très importantes. J’ai mon gilet, il me faut mon sac à main. Ah, non, ça c’est ma trousse de toilette, qui l’a posée sur la table ? Mais c’est vrai, je ne me suis pas maquillée. Je prends ma trousse de toilette et je me retourne, un peu perdue. Je n’ai pas encore l’habitude de cet endroit, il faut dire. Mais oui, c’est bon, la salle de bain est là, la porte est restée ouverte. J’y vais et… mais ce n’est pas vrai ! Qui c’est, celle-là ? Je lui demande ce qu’elle fiche dans ma chambre. Non mais c’est vrai, on ne va pas se laisser faire !
Entre les pages
Défi 30 jours pour écrire, sujet : bruissement/”Que dit l’étoile du matin au soleil qui se lève ?”
Un murmure se propage de page en page, un bruissement fugace, presque fantomatique. Une ombre sonore. Une illusion. Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? Il n’y a pas de bruit dans une bibliothèque vide. Il n’y a que des livres ici. De la poussière. Et de l’attente.
L’attente des livres qui espèrent être lus et qui chuchotent entre eux, de page en page, leurs histoires et leurs secrets. Quel est le secret du chant de l’eau claire ? Que dit l’étoile du matin au soleil qui se lève ? Quelle est la question sur l’univers, la vie et le reste, dont la réponse est 42 ? Tout est caché ici, des secrets pressés noirs sur blanc, qui se tortillent pour s’échapper, pour être racontés, lus, transmis, courir de tête en tête et prendre un peu d’air frais.
En attendant, ils se chuchotent leurs mots les plus doux, les uns aux autres, dans les bruissements de pages.
Prince et princesse
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Endormi(e)/ le cœur qui s’emballe
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Le moment tant attendu est arrivé. Celui où le prince peut réveiller sa princesse d’un tendre baiser. Nerveux, son cœur s’emballe tandis qu’il se penche vers sa dulcinée endormie. Après toutes les épreuves qu’il a traversées, celle-ci semble pourtant bien légère… Il a franchi les ronces, triomphé des menteurs, affronté et chassé le dragon, le plus dur est fait ! Même grimper les escaliers de cette fichue tour est plus compliqué. Et il ne va quand même pas prendre la princesse encore endormie dans ses bras, descendre comme ça l’escalier et traverser ce qu’il reste de ronces. Non, c’est évidemment plus simple si elle est éveillée. Elle va découvrir l’homme qui l’a sauvée, elle sera reconnaissante et elle tombera amoureuse. Et tout finira bien.
Mais le cœur du prince n’en finit pas de marteler ses doutes et ses craintes. Sauver la princesse, oui, c’est évidemment la chose à faire. Il n’y a aucune raison de la laisser dormir encore des siècles prisonnière de sa tour. Mais après ? Il ne la connait pas, cette fille ! Et si elle ne lui plait pas, au final ? Est-ce que c’est raisonnable de décider de passer sa vie avec juste parce qu’il l’a sauvée ? Et si lui, il ne lui plait pas ? Ce n’est pas comme si elle avait l’embarras du choix. Pire, de son point de vue à elle, le temps ne s’est pas écoulé du tout. Elle va se réveiller comme un matin ordinaire pour découvrir qu’elle est cent ans dans le futur, que tous les gens qu’elle a connus sont morts, que sa maison est en ruines et que son royaume n’est plus qu’un territoire à l’abandon dont les royaumes voisins se disputent la garde. Il y a des chances que son premier réflexe ne soit pas de sauter au cou de son sauveur. Il lui faudra déjà un peu de temps pour réaliser qu’elle avait besoin d’être sauvée.
Peut-être qu’elle avait quelqu’un, à l’époque, un fiancé ou un amoureux secret, quelqu’un à qui elle pensait tendrement le soir en brodant des fleurs, ou toute autre activité de princesse. Peut-être qu’elle s’intéressait à la gouvernance de son royaume, qu’elle posait mille questions à ses parents, qu’elle étudiait dur pour le jour où elle serait reine à son tour. Peut-être qu’elle aimait sortir avec ses amis, faire de longues promenades à cheval, chasser, pêcher, revenir le soir les cheveux dépeignés et les joues roses d’avoir couru.
Pour l’instant, elle est encore endormie, et si belle sous le sortilège qui la fige. Vêtue d’une robe blanche délicatement ornée de dentelles, les yeux légèrement maquillés, les cheveux de miel soigneusement peignés, elle est aussi parfaite qu’une poupée. Le prince ne sait rien d’elle, si ce n’est qu’on lui a promis sa main s’il venait la sauver. Est-ce qu’il le souhaite, au fond ? Il a aimé partir à l’aventure et vaincre mille périls. Il a déjà sauvé son compte de vieilles et d’orphelins en musardant sur les routes à redresser des torts. Il n’est pas si pressé de faire comme son père, sauver une princesse et rester avec elle à s’occuper d’un royaume jusqu’à la fin de ses jours.
Mais s’il ne la réveille pas, qui le fera ? La magie a ses règles et les baisers n’y dérogent pas. Enfin décidé, il se penche vers sa princesse. Advienne que pourra, il l’embrasse et met fin à sa malédiction.
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La princesse ouvre les yeux et se redresse péniblement, encore à moitié endormie. Elle n’a jamais dormi comme ça, aussi lourdement, d’un sommeil sans rêves. D’ailleurs, elle ne se rappelle même pas de s’être mise au lit, la dernière dont elle se souvienne, c’est ce ricanement pendant qu’elle tombait… Pourquoi ? Qui était là ?
Confuse, démêlant encore ses souvenirs brumeux, elle se redresse et écarquille les yeux à la vue des murs nus de sa chambre et de la couche de poussière. Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
À ses côté, un jeune homme, beau et bien vêtu même si ses vêtements ont été fortement abimés, qui lui sourit nerveusement.
« Vous n’êtes pas obligée vous savez, lui dit-il.
— Obligée de quoi ?
— De m’épouser. »
C’est une précision étrange à faire pour se présenter à quelqu’un, et la princesse aurait pu lui répondre qu’effectivement, en règle générale elle n’était pas obligée d’épouser tous ceux qu’elle croise. Mais la situation est bien trop inquiétante pour perdre du temps en étant sarcastique, et elle se contente de hocher la tête tandis qu’il lui explique ce qui est arrivé pendant son sommeil et de la guider au-dehors.
Elle accuse le choc, c’est certain. Et s’agrippe à la main du prince. Il lui faudra du temps pour trouver sa place dans ce monde qui a continué à avancer sans elle. Mais elle sait qu’elle peut au moins faire confiance à une personne.
Au final, ils vécurent heureux, et ne se marièrent jamais ensemble.
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Accélérer jusqu’à ce que ça s’arrête
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Absurdité/tout devient beau quand ça s’arrête
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Je claque des doigts, et le temps s’arrête.
Bon, en réalité le temps ne s’arrête pas, c’est moi qui accélère tant que le monde est immobile à mes yeux. Mon pouvoir est puissant, mais pas au point de geler une des forces qui régit l’univers tout entier, même si je l’ai longtemps cru. C’est mon côté un peu mégalo. Qui n’a jamais rêvé que tout s’arrête pour lui ?
C’est comme le coup du claquement de doigts. Je n’en ai pas besoin, il suffit de le vouloir pour déclencher mon pouvoir. Mais j’adore ça. C’est tellement plus classe. Surtout au milieu d’une conversation. Et blablabla, tu n’as pas fait ci, et blablabla, tu as fait ça, et blablabla, assumer les conséquences de tes actes… tellement barbant. C’est tellement bon, à ce moment là, de fixer l’autre dans les yeux, de lui faire un petit sourire complice, de claquer des doigts… et de disparaitre.
Et puis le monde est si beau quand il s’arrête. Les films à gros budget tentent de le mettre en scène, mais ils restent toujours en dessous de la réalité. La lumière n’est pas la même, l’air qu’on respire non plus, et chaque objet touché bouge d’une manière qui n’a plus rien à voir avec la physique ordinaire. On est dans un monde onirique, magique, un monde qui n’est qu’à moi. Mon refuge est la Terre entière, devenue mon terrain de jeu personnel. Je peux y faire tout ce que je veux. Et je ne m’en prive pas.
Tout a un prix, cependant. Ce n’est pas que j’ai à assumer les conséquences de quoi que ce soit, heureusement, mais jouer avec le temps a des effets. Plus je passe de temps en accélération, plus je vieillis. J’y reste à mon échelle une heure ou deux par jour, et au bout d’un an j’ai vécu un an et un mois. Au fil des années, ça se voit. Surtout que ça fait longtemps que je ne me suis plus limité à une heure ou deux par jour.
À quoi bon vivre dans le temps ? La société est une absurdité. Travailler à des tâches qui n’ont aucun sens pour finir épuisé, à tenter de se distraire avec le peu qu’on a à portée de ses capacités financières… Absurde. Je fige le temps, j’ai dormi dans des palaces, mangé dans les plus grands restaurants, caressés des dauphins sauvages figés en plein bond et fait la sieste avec des tigres comme oreiller, j’ai vu le monde comme aucun autre humain ne pourrait le voir, et on voudrait que je me contente de la télé ? À quoi bon revenir dans le flux du temps ?
Les gens, j’imagine. Ils ne peuvent pas me suivre dans le temps figé, c’est donc à moi de me ralentir pour les attendre. Et je l’ai fait, il ne faut pas croire. Beaucoup. Souvent. Parfois.
Ҫa dépend de qui on parle, on va dire.
Mes amis d’enfance entrent tout juste au lycée et j’ai déjà trop de cheveux blancs pour les cacher. Mon identité officielle n’est plus crédible depuis longtemps. Je n’ai plus vraiment d’espoir de retour. J’ai ralenti, parfois, pour certaines personnes. Ҫa a été beau. Puis plus du tout. Ça n’a jamais duré. Difficile de se motiver à faire des efforts et à trouver des compromis quand il suffit de se laisser aller pour avoir tout ce qu’on veut. Et ils ne comprennent pas. Ou alors ils comprennent trop bien et sont intéressés par ce que je peux obtenir grâce à ce pouvoir. Ou alors je me méfie trop et je deviens parano. Trop de solitude. Seul dans un monde magique où l’humanité entière est ma chambre remplie de peluches, que je peux utiliser à ma guise pour être mes amis imaginaires. Je n’ai plus envie de revenir. Et rien ne m’y oblige.
Aujourd’hui est une journée parfaite. C’est décidé. Aujourd’hui pour moi ne finira jamais. Salut, les loosers. Continuez vos petites vies à deux à l’heure. Moi, je vais m’amuser encore un peu.
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Le rêveur
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Chevalier/les voyages dans le temps
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Rien de tel qu’un musée pour voyager dans le temps. Une armure vieille de plusieurs siècles est mise en scène avec une épée, accompagnée d’un dessin grandeur réelle de ce à quoi ressemblait le chevalier, et wow. Ce type pourrait être moi. Il fait ma taille, il me ressemble, et il a la classe.
J’adorerai voyager dans le temps.
Juste comme ça, en touriste. Je n’ai pas vraiment envie d’être un chevalier, après tout ce sont des militaires qui sont censés tuer des gens pour protéger leurs terres – ou les conquérir. Et je ne crois pas que l’hygiène ni la nourriture de l’époque soient tout à fait à mon goût. Mais je voudrais tellement voir ! Y aller, pour savoir comment c’était, pour entrer dans un autre monde bien vivant, là où il ne nous reste que des vestiges !
Je veux visiter la Rome Antique ! Voir la construction des pyramides ! Les temples mayas et leurs vergers en pleine jungle ! Et… et tout ce que je ne connais pas, en fait ! Il y a des siècles entiers dont je n’ai qu’une idée un peu floue de transition entre deux périodes bien établies. Mais il y avait des gens à ces périodes, qui ont vécu leurs vies tranquilles, ou pas, et estimaient peut-être qu’ils vivaient quelque chose de fondamental qui marquerait l’avenir. Et moi, dans l’avenir, je voudrais savoir ce qu’ils voulaient transmettre aux générations futures.
Je voudrais que la cabine du Dr Who m’emmène là-bas. Ou ailleurs. N’importe où dans la galaxie… N’importe où sauf ici.
Un musée est un bon point de départ pour un voyage.
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Ma maison
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Déménager/si j’étais invisible
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Je déteste déménager.
Normal, me direz-vous. Tout le monde déteste déménager. Mettre sa vie dans des cartons, trier, virer, et s’épuiser à la replacer à peu près dans l’ordre, goutte à goutte, dans un autre endroit, qui pourrait aimer ça ?
Je l’ai fait pourtant, si souvent. Tous les trois ans, à peu près, c’était une habitude avec ma mère. Première année, investir le nouvel endroit. Deuxième année, bougeotte, tous les meubles changent de place au moins une fois. Troisième année, marre, au moins une bonne raison de changeait d’air, et hop, on filait.
Après, ça a été les études, encore pire – j’ai déménagé tous les ans, à par le master 1 où j’ai réussi à rester au même endroit deux ans d’affilés. Puis ça a le retour au pays – un an et demi du petit studio qui m’a servi d’escale le temps de trouver du travail, six mois pour partager un appartement, puis enfin du travail et re-déménagement dans un vrai appartement. Là, têtue comme une bernicle, je suis restée cinq ans accrochée à mes murs, même si j’avais à peine la place de me retourner au milieu de mon bazar. Tous mes livres étaient avec moi, mon cocon était plein comme un œuf, mais je ne voulait pas partir.
Donc maintenant que j’ai une maison et que j’ai péniblement tout casé dedans, non, je ne bouge plus. Je vais vieillir ici, m’y faire pousser des racines si profondes qu’aucun sécateur n’en viendra à bout, lui faire prendre toutes les apparences et la remplir de toutes les décorations les plus farfelues, mais je ne bouge pas. Le monde peut bien s’écrouler, ici c’est chez moi. Je me fous de « réduire la valeur de mon bien » et toutes ces conneries. Je ne la vendrai pas. C’est ma maison et je ne veux plus jamais déménager.
Quand je mourrais, je resterai encore là. Je serai un fantôme invisible et je surveillerai ce qui s’y passe. Je n’embêterai pas les vivants, bien sûr. J’ai été bien accueillie par les fantômes des précédents propriétaires. La maison n’avait connu qu’un couple de propriétaire depuis sa construction, avant nous. Ils l’ont achetée jeunes mariés et y sont restés jusqu’à leur mort. C’est très bien. C’est ce que je planifie de faire aussi.
Je serai sage, mais je serai là. Je jugerai silencieusement la bibliothèque des nouveaux arrivants, je squatterai leur canapé pour regarder la télé, j’allumerai leur console au milieu de la nuit. Ou autre gadget futuriste. J’ai le temps de voir venir.
Et quand l’exorciste qui finira par arriver me demandera ce que je fais encore sur cette terre, je lui expliquerai : c’est ma maison, et je déteste déménager.
Le camion a gagné
Défi 30 jours pour écrire, sujet : l’orange/Game over
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Je suis passé à l’orange. Je n’aurais pas dû.
Vous comprenez, j’étais pressé. Et comme on dit, orange pressée… Hum. J’étais sûr de tenir quelque chose là, mais ça m’échappe.
Bref. J’étais plus que pressé, en fait, j’étais en retard. Et j’étais mort si j’arrivais en retard. Du coup, qu’est-ce qu’on fait quand on part en retard et qu’on veut être à l’heure sur la ligne d’arrivée ? On accélère. On prend des risques. On passe à l’orange. Tout ça.
Peut-être que mon orange était un peu mûre. Sanguine, même.
Ha. Un bon jeu de mot, ça. Orange sanguine.
Parce que c’était un orange un peu rouge, il faut bien l’avouer. Et que là, si on regarde le résultat. Ben. Du sang… il y en a.
Et pas qu’un peu.
Bon. Cette blague était peut-être un peu de mauvais goût. Too soon, comme disent les anglophones.
Désolé.
C’est mon truc, l’humour. C’est pas que je sois bon. Mais ça ne m’empêche pas. Surtout quand je suis stressé, en fait. Je masque avec l’humour.
Mais ce n’est peut-être pas le moment.
Vous êtes venu me chercher, n’est-ce pas ?
Je veux dire… ça ne sert à rien que je reste autour de l’accident, non ? Je ne vais pas hanter ce carrefour. Mais peut-être que je dois suivre mon corps ? Le samu arrive. Ils vont m’emmener à l’hopital, non ? Si jamais ils arrivent à… à faire quelque chose. Je peux y retourner, dans mon corps. Non ?
Oui, bon, ils l’ont mis dans la housse. Ça s’est pas bon signe.
En même temps, voiture contre camion, le camion a gagné. Il fallait s’y attendre.
Mais je ne pensais qu’il avait gagné, gagné. Je me disais que c’était encore jouable, avec de la chance. Vous savez, comme dans les séries médicales où ils récupèrent le gars alors qu’il est mort depuis deux minutes et qu’il a vu la lumière.
Peut-être que ces gars sont vachement moins plats, maintenant que j’y pense.
Je ne vais pas revenir, alors ?
Non, ce n’est pas que je ne veux pas vous suivre, c’est juste que… On va où, en fait ? Il va se passer quoi, après ?
Il y a bien un après, n’est-ce pas ?
En tous cas, putain d’orange.
Une orange sanguine trop pressée.
Hum. Je suis sûr qu’il y a un moyen de faire fonctionner cette blague…
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Voix
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Entre-deux/"Ce qui me manque le plus c'est la manière dont tu m'aimais"
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Elle est dans l'attente de son nouveau travail – ni embauchée, ni rejetée, un entre-deux qui la laisse perchée, hésitante, un pied en l'air, sans savoir où le poser. Parce que pour le moment, elle doit anticiper, elle. Planifier la suite, une direction ou une autre, un déménagement avec toute sa ribambelle de démarches, ou de nouvelles recherches d'emploi avec leurs heures interminables sur l'ordinateur. L'un et l'autre l'épuisent d'avance, on pourrait donc penser que c'est au final le plus reposant, cet entre-deux, ce ni-ni qui la sauve de pouvoir commencer quoi que ce soit. Et bien pas du tout. Ça la ronge, cet entre-deux. Ça la bouffe de stress au moment où elle aurait besoin de toutes ses forces. Ça lui martèle en permanence : "Tu n'aurais pas dû faire ça, tu n'as pas fait le bon choix, et maintenant regarde on t'ignore, tu voulais faire ta vie, être indépendante, tout ça pour qu'on te traite comme si tu n'existais pas."
On a tous des petites voix dans la tête, mais les siennes sont assez perfides. Méchantes, même. Toujours à ressasser, à appuyer là où ça fait mal. En temps normal, la routine suffit à les faire taire. Pas en ce moment. Les doutes, les regrets, les souvenirs un peu flous où on se demande si après tout, on n'aurait pas pu faire autrement, si ça n'aurait pas pu marcher, avec quelques efforts, quelques compromis, c'était peut-être un peu sa faute aussi…
Elle appelle son ex.
Très mauvaise idée, soit dit en passant. Echapper à ses voix internes pleines de reproches pour se raccrocher à une voix externe maître dans l'art du passif-agressif, ce n'est pas une bonne façon de prendre soin de soi. Mais il s'y connait en entretien d'embauche et elle se dit qu'elle pourra lui demander si c'est normal, ce long silence. Elle espère qu'il pourra la rassurer. Triomphe de l'espérance sur l'expérience, une fois de plus.
Ils parlent. Beaucoup. Au moins la question du travail est oubliée. Ils parlent du plein, un long voyage nostalgique au pays de leurs souvenirs communs. Il lui dit qu'elle lui manque. "Tu sais, ce qui me manque le plus c'est la manière dont tu m'aimais." Il a l'art de ce genre de formules. Une façon poétique de parler d'amour, toujours un peu inattendues, délicate, attentionnée. Qui dans sa bouche ne veut rien dire. Comment est-ce qu'elle l'aimait ? Comme elle pouvait, mais ce n'était jamais bon, à l'époque. Trop fort, pas assez, trop collante, trop distance, elle a entendu tout et son contraire.
Et elle, comment est-ce qu'il l'aimait ? Il lui donnait de la validation, parfois. De l'assurance, de la hargne, il l'armait contre le monde hostile. Puis elle le contrariait et il balayait tout ça d'une phrase, d'un mot, parfois d'un seul regard déçu avec long soupir. Elle bâtissait sous son regard approbateur, et elle bâtissait sur du sable.
A présent… non, elle n'est pas plus sûre d'elle, certainement pas. Un entre-deux l'affole, ce flou fait ressurgir le pire de ses angoisses. Mais elle avance. Elle bâtit, en prenant son temps, la peur au ventre souvent, mais c'est solide. Elle sait qu'elle peut s'appuyer dessus. Quoi qu'il arrive, elle a des options, des possibilités.
Il lui propose de prendre un café ensemble, un de ces jours. "Ne fait pas ça", lui souffle une voix intérieure. Ah, elle n'est pas hostile celle-là. On l'entend rarement, mais elle sait ce qu'elle fait et surtout ce qu'elle ne doit pas faire. La voix de l'expérience.
Elle lui demande des nouvelles de sa femme. Il répond "Oh, tu sais, les vieux couples… il n'y a plus la magie du début. Ce n'est pas comme nous. J'ai l'impression qu'on avait une alchimie, le genre de choses innée qui ne disparait jamais, tu vois ?"
Elle voit très bien.
Elle lui promet de rappeler pour le café et raccroche. Re-vérifie ses mails. S'allume une cigarette.
Une pause. Hors du temps. Pas de regard en arrière. Pas de regard en avant. Rien que le présent.
Elle peut le faire.
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Défi 30 jours pour écrire, sujet : haïku/les rêves
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Brumeux ils s'échappent
Quand mes paupières s'ouvrent
La nuit est finie
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Une soirée ordinaire
Défi 30 jours pour écrire, sujet : Le progrès/Veux-tu connaitre la fin du film ?
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Lucas se réveille en sursaut, certain d'avoir oublié quelque chose. Ce qui n'est pas totalement faux. Pour commencer, il a oublié de se coucher. Il s'est endormi devant son ordinateur, comme bien trop souvent.
Lara, son intelligence artificielle personnalisée, voit grâce à la caméra de l'ordinateur qu'il s'est réveillé et lui demande d'une voix douce :
"J'ai arrêté le film lorsque tu t'es endormi. Veux-tu que je le relance ?
— Je ne sais pas… Quelle heure il est ?
— 1h54.
— Houlà non, il faut que j'aille dormir… Dormir pour de vrai, je veux dire, d'une traite… Non, je vais me coucher.
— Veux-tu connaitre la fin du film ?
— Honnêtement, j'ai déjà oublié le début, alors…
Il baille et s'étire. Il est de plus en plus fatigué, et le sommeil gâche de plus en plus souvent le peu de loisirs qu'il s'offre. Lara continue :
— Veux-tu que je demande un remboursement du film ?
— Non, non, je le verrais demain. Je pense qu'il est bien, non ?
— Il correspond à tes goûts à 95%. Il te plaira sans doute. Mais tu l'apprécierais davantage avec des amis. Veux-tu que j'invite des amis pour le voir avec toi ?
— Bof… Eux aussi ils sont crevés… Enfin c'est vrai que ça fait longtemps…
— D'après leurs IA personnalisés, le meilleur créneau pour une soirée film avec Paul, Sven et Charly est le mercredi 13 octobre à 21H30.
— Hé ben… c'est vrai qu'ils sont tous occupés en ce moment… Et si on le fait avec seulement deux d'entre eux, ça tomberait le combien ?
— Le samedi 26 juillet à 20h.
— Parfait, c'est dans deux semaines ! Fait ça alors. Du coup il y aura qui ?
— Charly et Sven.
— Prévoit un deuxième film, surtout si la soirée commence tôt. Plutôt un film d'action, mais pas un des trucs de kung-fu bizarres que Sven adore, un truc qui nous plaise à tous les trois.
— Soirée programmée. Félicitation, Lucas. Ça te fera un total de trois interactions sociales humaines dans le mois, ce qui atteint le minimum recommandé par l'Organisation de la Santé Mentale.
— Ouais, ouais. Bon, moi je vais me coucher. Bonne nuit Lara.
— Bonne nuit Lucas. Veux-tu que je t'empêche de t'endormir devant l'écran la prochaine fois ?
— C'est gentil, mais non. J'en ai marre de ne rien contrôler dans ma vie, je peux au moins être stupide et me coucher trop tard en m'endormant devant des bêtises.
— C'est toi qui a le contrôle, en définitive. Je ne suis que ton IA, tu peux choisir chacune de mes options. Je te sers juste à correctement bénéficier du progrès.
— C'est ça. On en rediscutera demain, quand je t'engueulerais parce que tu n'as pas racheté de beurre, et que tu vas me jurer que c'est pour ma santé ou je ne sais pas quoi.
— On en rediscutera dès que tu voudras. Je suis à ta disposition."
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Imagie
Défi 30 jours pour écrire, thème : Magie/mais qu’en est-il de nous ?
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Les chats voient la magie. Les chiens aussi, même s’ils la craignent davantage. Les chauves-souris et les chouettes savent l’éviter lors de leurs vols nocturnes et les crapauds s’y vautrent sans conséquences. Mais qu’en est-il de nous ? Nous, humains, y sommes aveugles et croyants à la fois. Nous la pensons là, nous la ressentons, nous la mettons en scène et la recréons avec nos moyens limités. Mais nous ne pouvons ni la voir, ni la sentir, ni savoir quoi que ce soit sur elle. C’est pourquoi nous l’avons baptisé magie. Si nous savions ce que c’est, ce ne serait plus magique.
J’ai tellement voulu être une sorcière, un mage ou un jedi, mais ça n’a jamais marché. Je ne voulais pas le pouvoir. Je voulais juste savoir. Savoir ce que c’était, cette force qui était forcément là. Savoir et voir enfin. Alors que je ne peux qu’imaginer. Peut-être que c’est le meilleur moyen pour ouvrir enfin cette porte. En tous cas c’est le seul que j’ai.
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